Session #4 : Nouvelle politique de l’occupation temporaire à la MEL ?
Deuxième cas pratique pour la TRANSFO Lille : après avoir travaillé sur la rénovation énergétique « Amélio », les Ambassadeurs de la Métropole Européenne de Lille s’attaquent aujourd’hui à la question de l’occupation temporaire des espaces vacants.
Ce cas pratique nous provient d’un groupe de travail transversal à la MEL, composé notamment des représentants des services du patrimoine, du développement économique, de l’agriculture, de la participation. Depuis déjà quelques mois, ce groupe de travail s’attèle à mieux comprendre les enjeux de l’occupation transitoire du patrimoine de la MEL, dans le but de présenter, d’ici la fin 2018, des scénarios d’orientation d’une politique de l’occupation transitoire de son patrimoine au conseil métropolitain.
Plus de 5000 espaces vacants estimés
Mais qu’est-ce que l’on entend par occupation temporaire ? Et quelles sont les enjeux de ce sujet pour la Métropole de Lille ?
Tous les territoires comprennent une part d’espaces vacants : délaissés, friches industrielles, bâtiments vides, propriétés en mal d’acquéreurs, espaces recherchant des locataires, etc. On estime à environ 10 % la vacance normale ou structurelle sur un territoire correspondant à la rotation d’espaces et de terrains qui changent de main.
Ce phénomène de vacance concerne aussi les propriétés foncières des collectivités territoriales, qui par un ensemble de mécanismes (rachats, récupérations de bâtis lors de transferts de compétence, retours de concessions…) ont constitué au fils des années, des réserves foncières conséquentes, parfois laissées à l’état de friche pendant des années. « Un des mécanismes qui génère des espaces vacants, souligne Ludovic Beert, Responsable notamment de la revalorisation des friches à la MEL, et que les pouvoirs publics se portent acquéreur de biens en vue d’élargir la voirie, d’agrandir un service ou de construire un nouveau bâtiment. Les politiques publiques évoluent, les priorités changent, les mandats se suivent et les plans sont modifiés de sorte que ces espaces restent vacants».
Et sur ce point, la MEL n’est pas en reste : de fil en aiguille, la métropole Lilloise a constitué un parc de près de 5000 bâtiments, évalué à 1,5 milliard d’euros, dont plus de 90% sont vacants, en attente de projets ou en friche.
Stratégie de l’occupation temporaire
Or les espaces vacants, s’ils constituent un problème pour les territoires – chancres urbains dans les quartiers, squats potentiels coûteux à gardienner etc.- représentent aussi des opportunités importantes pour la dynamique du tissus urbain et de son développement. Bon nombre d’acteurs économiquement faibles ou dont les objectifs ne visent pas directement la génération de revenus sont demandeurs de lieux où héberger leurs activités quitte à s’accommoder de conditions moins favorables (usage temporaire, lieu partiellement dégradé ou moins fonctionnel, etc.) du moment qu’ils bénéficient de conditions d’occupation favorables (loyer préférentiel, gratuité contre entretien léger des lieux – house-sitting -, etc.)
Au-delà des espaces vides ou inoccupés de longue durée, la vacance structurelle signalée ci-dessus représente elle-même un potentiel : pourquoi laisser un terrain inoccupé quelques années avant qu’il ne soit construit, un bâtiment vide pendant les mois d’attente de sa restructuration, etc ? Si cette vacance peut profiter à quelqu’un et est génératrice de valeur alors cette valeur est tout bénéfice car elle profite d’un temps qui sinon n’est pas valorisé. De plus, un espace vacant coûte de l’argent : et pour éviter les intrusions et les dégradations il doit être surveillé ; un bâtiment inoccupé se dégrade et perd de sa valeur s’il n’est pas entretenu, ce patrimoine dormant a un coût non négligeable qui pèse favorablement dans la balance de l’occupation temporaire.
L’hypothèse d’une politique de l’occupation précaire à la MEL
En synthèse, les espaces vacants sur le territoire s’ils sont certes un problème, constituent sans aucun doute une opportunité à saisir. C’est l’objet du cas pratique numéro deux de la TRANSFO : peut-on explorer l’hypothèse d’une politique d’occupation précaire à la MEL ? Quels sont les bénéfices que l’on peut en attendre pour les citoyens ? Quelles économies cela représente pour la collectivité ? Quelles valeurs sociales, culturelles, entrepreneuriales, environnementales peut-on en attendre pour le territoire ?
C’est sur ces questions que nous lançons, ce 2e cas pratique, bien accompagné par une partie du groupe de travail sur l’occupation transitoire (GTOT), la quatrième session de la Transfo. Sont évoqués les efforts des services pour créer un cadre facilitant à l’occupation temporaire, mais aussi la frustration de ne pas voir aboutir de projets. En cause, la dimension transversale du sujet, et l’absence d’instanciation d’une politique de l’occupation temporaire, qui rendent toute deux difficile la coordination entre services. Comment faire bouger les lignes pour permettre l’expérimentation ? Comment développer une pratique, produire quelques démonstrateurs qui pourraient dessiner une stratégie de politique de la mel d’occupation temporaire ?
A la découverte de la vacance au concret : immersion à Roubaix dans le quartier du Pile
Pour l’occasion, la transfo a déménagé à la Condition Publique, tiers lieux occupants une ancienne manufacture, dans le quartier du Pile à Roubaix. Et ce n’est pas par hasard : selon Jean Christophe Levassor, directeur de la Condition publique et également présent à nos côtés, il est judicieux de partir de ce territoire pour mener une expérimentation en matière d’occupation transitoire. Fortement touché par la vacance, le Pile est quartier également touché par le chômage de masse et l’exode de sa population. Ici, la régénération du tissus urbain (mais aussi social et économique) est un enjeu d’intérêt public.
Pour bien s’immerger dans le sujet, les ambassadeurs vont partir, pour cette première journée, à la découverte du Pile, quartier de la métropole particulièrement touché par la vacance. Au fil d’un parcours pédestre, et sous un soleil tapant, les ambassadeurs découvrent trois lieux emblématiques de ces enjeux :
- Juste en face de la Condition publique, une maison de ville murée suite à un projet d’agrandissement de la voirie.
- aux abords du canal reliant le bassin de la Deûle au bassin de l’Escaut, où les transports industriels ont laissé place aux pêcheurs du dimanche et à quelques courageux baigneurs, on découvre une maison éclusière sans occupation. Ce n’est pourtant pas fautes de proposition d’occupation, mais les difficiles montages entre parties prenantes ont eu raison des projets.
- Enfin, dans un coin plus résidentiel de la ville, nous cheminons jusqu’au Collège Samain, qui fermera définitivement ses portes en juillet de cette année, et dont les projets d’occupations temporaires pourraient permettre d’éviter au bâtiment une dégradation rapide prévisible.
Tout au long de cette balade urbaine, les ambassadeurs notent leurs étonnements et photographient des éléments de l’environnement : problèmes de propreté et d’entretiens de l’espace public, parcs réhabilités mais grillagé, nombreuses maisons murées. Au delà des bâti, la vacance est à la fois un symptôme et un élément participant d’une dynamique sociale et urbaine grippée.
A la rencontre de porteur de projets d’occupation transitoire locaux
Pour finir la journée, le groupe se scinde en deux pour découvrir des projets d’occupation transitoire en activité sur le territoire. Direction la ferme du trichon, à Roubaix, ou les ambassadeurs rencontrent Pierre Wolf, et la friche gourmande dans le quartier de Fives à Lille.
Pour la ferme du trichon, l’histoire démarre en 1989 avec un espace vacant de 170m2 au sol racheter 10 000e par une coopérative. Afin d’éviter les nuisances sur cet espace, la coopérative décide d’y faire construire par l’architecte Matthieu Marty, en 2012, un bâtiment bioclimatique, qui accueille un restaurant et un espace d’échange et de rencontre : Baraka. En 2014, la coopérative met en place une convention d’occupation temporaire pour occuper l’espace vacant qui se situe en face de Baraka. Cet espace est en projet pour devenir un jardin public, en attendant une ferme urbaine gérée par les habitants et une terrasse pour le restaurant y sont installés.
La friche gourmande s’intègre quant à elle dans les insterstices d’un grand projet urbain, sur le site de l’ancienne usine de Fives Cail Babcock (17ha), autrefois fleuron de l’industrie métallurgique. Le projet occupant une petite partie de site est composé d’un espace de cuisine participative et d’un espace convivial avec stand de nourriture et bar.
Problématiques émergentes
Après avoir dormi sur cette première journée d’immersion dans les expériences de l’occupation temporaire sur le territoire de la Métropole et les discours qui les accompagnent, les ambassadeurs partagent leurs premières impressions :
« on a vu beaucoup d’initiatives transitoires qui avaient envie de devenir permanentes » remarque d’entrée de jeu Céline Deremy Savary, soulignant d’entrée de jeu toute l’ambiguïté vertueuse de l’occupation temporaire : comment engager les parties prenantes d’un territoire à inventer des destinations pertinentes pour des espaces dont ils ne maîtrisent pas les usages qui en seront effectivement faits ?
D’autres questions émergent des exemples rencontrés la première journée : comment faire rencontrer l’offre et la demande d’espaces vacants ? Une fois la période d’occupation temporaire passée qu’est-ce qu’il advient de l’initiative qui s’y est développée ? Comment transporter cette valeur ailleurs sans en détériorer la dynamique ? Ou comment intégrer cette valeur au projet de redeveloppement planifié une fois la période de vacance terminée ? Qui sont les interlocuteurs dans l’administration de la Métropole et comment les solliciter pour mettre en place un projet d’occupation temporaire ? Est-ce que la revalorisation d’un quartier défavorisé par la présence de ce type d’initiative n’entraîne pas de facto une envolée des prix des loyers (gentrification) ? Comment peut-on rendre compatible les standards de la construction et les normes de sécurité qui s’appliquent aux espaces pérennes pour une occupation précaire de seulement quelques mois ?
Au final, comment évaluer les bénéfices d’un projet comme celui de la « Ferme Urbaine circulaire du Trichon » qui promet de « transformer des externalités négatives (espaces sous-utilisés; dévalorisation du quartier; frustration des habitants, etc.), comme le souligne Pierre Wolf, en externalités positives (autoproduction d’alimentation dans le quartier ; lieux de socialisation et d’inclusion ; démonstrateurs d’un écosystème urbain plus résilient ; etc.) ».
Enfin qui profite réellement de ces initiatives qui se prétendent toutes vecteur d’inclusion sociale si comme à la Friche Gourmande les boissons sont à 3€ et les snacks à 10€ ? Est-ce une pratique pour « bobos privilégiés » ou une réelle opportunité pour les familles vivants dans des quartiers défavorisés ? Une initiative d’occupation temporaire n’a-t’elle de la valeur que si elle implique toute la population ? “Si ça ne touche que 40 personnes dans le quartier, et alors ? conclut Céline, c’est déjà ça puisque ça ne coûte presque rien ! ».
Explorer l’occupation temporaire en France et en Europe
Fort de ces constats tirés des expériences visitées sur le territoire de la métropole, la matinée se poursuit par l’exploration d’autres expériences en France et en Europe. Les résidents ont préparé un « buffet de cas choisis » : sur une suite de tables sont étalés une soixantaine d’exemples nationaux bien connus comme Les Grands Voisins, des projets locaux tels que la Maillerie, ancienne friche des 3 Suisses à Villeneuve d’Ascq, ou le projet Au plus vite, un café solidaire participatif, ouvert sur le quartier Bois-Blancs, et des références européennes, issues du travail mené pendant trois années au sein réseau européen URBACT REFILL The City entre 10 villes européennes : Gands, Athénes, Amersfoort, Bremen, Cluj, Helsinki, Nantes, Ostrava, Poznan et Riga.
Les Ambassadeurs se servent à volonté des cas présentés, discutent les implications de chaque exemple, remplissent en petits groupes une grille d’analyse : en quoi consiste les cas d’occupation temporaire examinés, comment opèrent-ils sur le territoire, quels en sont les mécanismes et surtout quels en sont les bénéfices pour la collectivité ?
Occupation et usage temporaire ou transitoire…
L’objectif est de conclure ces deux jours par un premier argumentaire en faveur de l’occupation temporaire. Les cas passés en revue permettent d’abord une première structuration de la problématique.
L’occupation temporaire présente toutes les nuances entre processus montant à l’initiative des opérateurs de terrain et action descendante initiée par les pouvoirs publics.
Les habitants du Quartier populaire Rabot à Gand ont organisé avec la ville une occupation temporaire d’une surface de bricolage désaffectée. Progressivement ils y ont développé toute une série d’activités qu’ils n’ont pas la possibilité de faire dans les petites maisons exiguës qu’ils occupent dans cette partie de la ville. Ils ont inventé un nouveau lieu qui s’intitule « dirty jobs » (travaux salissants) et comprend un atelier de réparation de bicyclettes, une donnerie, une outillothèque, un potager, une grainothèque, etc.
A l’autre extrême, la ville de Nantes pratique depuis 10 ans ce qu’elle appelle un « urbanisme lent » : par l’intermédiaire de l’usage temporaire d’espaces vacants dans le anciens bâtiments laissés par la faillite des Chantiers de l’Atlantique, la SAMOA, l’agence de développement de l’île de Nantes située sur la Loire en plein centre de la ville, héberge une multitude d’initiatives culturelles (art urbain, spectacle de rue dont en particulier la maintenant célèbre compagnie Royale de Luxe et ses automates géants tout droit sortis des livres de Jules Vernes…) et entrepreneuriales (incubateurs de start-ups des technologies de l’information; hotelling d’initiatives de l’Economie Sociale et Solidaire, etc.) pour expérimenter progressivement les conditions d’émergence d’un véritable Quartier Créatif.
Organiser la suite du cas pratique
Pour conclure la journée des Ambassadeurs tournent entre trois ateliers :
Un premier groupe recueille des micros interviews auprès de chacun des Ambassadeurs, autant de rapports d’étonnement en une ou deux phrases qui rendent compte de l’expérience vécue de ces deux premières journées et préfigurent la manière dont la Métropole de Lille pourrait se saisir de ces questions d’occupation temporaire.
Un second groupe synthétise un premier argumentaire qui sera enregistré sous la forme d’un VOCAMEL pendant l’été: contextualiser le problème : les espaces vacants sur le territoire de la métropole, les coûts engendrés pour la collectivité, etc. L’occupation temporaire comme une opportunité : héberger des initiatives sociales, culturelles, entrepreneuriales, faire se croiser les habitants, redynamiser les quartiers, expérimenter les projets de développement urbains, faire émerger des destinations d’urbanisme de l’interaction avec les citoyens, etc.
Un troisième atelier cherche à creuser l’hypothèse d’un usage temporaire par les services de la métropole elle-même : comment les différentes fonctions d’une administration locale pourraient mettre à profit leur propre patrimoine d’espace vacant pour y héberger des « têtes de pont temporaires » de leurs services au plus près des citoyens : des chantiers d’insertion professionnelle proches des jeunes ; des ateliers de participation; des initiatives pédagogiques sur la citoyenneté durable et responsable ; des démonstrateurs de la rénovation énergétique (pour faire écho au premier cas d’application sur la politique publique AMELIO); et bien sûr, une instanciation du labo public de la TRANSFO en immersion sur le terrain…
Cette option émergée lors des échanges de la journée plus atteignable parce que « par » et « pour » les services de la MEL devrait permettre dans les prochaines sessions de reconstituer le parcours au sein des services de la MEL nécessaire pour monter un projet d’occupation temporaire et pour le tester en vrai grandeur.
Le choix des mots…
Mais au fait « usage temporaire », « occupation transitoire », « utilisation précaire »… nous avons utilisé ces termes les uns pour les autres tout au long des deux journées de TRANSFO tout comme dans cet article. Pourtant ils méritent que l’on s’interroge sur la manière dont ils connotent le sujet dont nous parlons ici : « occupation » semble plus militant en droite ligne des pratiques invasive des squats ; « usage » semble s’inscrire plus dans une option de normalité, d’utilisation des espaces selon une modalité autorisée ; « précaire » insiste sur la vulnérabilité des usagers plus que sur les atouts potentiels de la pratique ; « temporaire » renvoie à la non-permanence sans présager de ce qui se passera ensuite ; « transitoire » au contraire insiste sur le momentané en vue d’un devenir en transformation.
Au total l’association de termes « usage transitoire » aurait pour effet de connoter la nouvelle politique de la MEL à la fois d’une pratique normale d’utilisation des espaces vacants et d’une politique orientée vers la genèse de nouveaux bénéfices qui perdurent au-delà de la période de mise à disposition… À débattre durant la prochaine session de septembre !